lundi 9 octobre 2000

Lake Pichola Hotel, Udaïpur

"Viens, ô mon âme. Il est temps de faire voile vers ces eaux saintes où la rivière de l'amour rencontre la mer de l'adoration et, dans l'azur, s'y purifie de tout son limon"
Rabindranath Tagore, La maison et le monde

Alors que je m’apprête à prendre une douche matinale, quelqu’un frappe à la porte. « Good morning, Sir », c’est le réveil à l’indienne. Après un petit déjeuner à base de toasts et de thé « Taj Mahal », nous quittons Fort Chanwa et Luni pour Udaïpur. Pour nous rendre dans la cité blanche, nous traversons la chaîne des monts Aravallis, ce qui donne à notre escapade un air des plus bucolique. Revers de la médaille : imaginez le danger que peut représenter une route de montagne en Inde ... Notre chauffeur a de plus la fâcheuse habitude d’admirer le paysage sur le coté de la route alors qu’un énorme camion TATA fonce droit sur nous ! Lorsqu’il redresse la tête et s’aperçoit du danger, il braque violemment pour éviter le choc alors que le bahut nous frôle dans un tonnerre de Klaxon. Sans oublier les vaches et autres chiens errants évités d’extrême justesse. Bonjour les montées d’adrénaline ...


A mi chemin, nous nous arrêtons sur le site Jaïna de Ranakpur, édifié au 15ème siècle par l‘élite indienne. La visite du temple d’Adminatha fut pour moi une véritable révélation. Après nous être déchaussés, avoir ôtés tous les objets de cuir que nous portions, nous montons quelques marches pour aboutir à une forêt de piliers de marbres blancs richement sculptés. C’est vraiment un spectacle éblouissant que ces dentelles subtiles qui parent les moindres recoins du temple. Le long des murs reposent les statues des 24 « tirtankaras », les passeurs de gués, ceux qui ont atteints le nirvana et qui sont représentés par des idoles au regard énigmatique. L’ambiance est plus qu’envoûtante et j’ai trouvé l’endroit fabuleux. Nous reprenons la route et franchissons quelques monts, peuplés par les communautés Bhils. Aux environs d’un col, nous dépassons non sans mal un petit convoi d’ânes et de chèvres portant un attirail des plus éclectique : enfants rieurs, poules et chaises. « Gipsy people » nous glisse le chauffeur. Nous prenons un déjeuner sur le pouce dans une gargote de bord de route. Ashok m’avoue que lors d’un repas il ingurgite près d’une vingtaine de chapatis, ces petits pains qui servent ici de couverts. J’ai encore des progrès à faire !

Nous arrivons enfin à Udaïpur. C’est vrai que la nature environnante est ici plus riante bien que les faubourgs soient assez quelconques. Nous essuyons une petite averse bienfaitrice avant de nous installer au Lake Pichola Hotel situé à même le lac du même nom. La tenue de l’hôtel laisse un peu à désirer mais la chambre jouie d’une telle vue sur le lac et le City Palace que nous oublions les imperfections de l’ensemble. Nous sommes juste en face des ghats, dont les marches descendent sur le lac où les enfants s’ébattent dans le plus simple appareil, alors que leur mère battent le linge en cadence. Nous reprenons la voiture, sillonnant les ruelles très étroites de la vieille ville, où se frayer un chemin relève de l’exploit. Udaïpur étant particulièrement réputée pour ses peintures miniatures d’influence Mogholes, nous nous arrêtons dans une école d’art ou nous observons le travail minutieux de reproduction des chef d’oeuvres du Mewar. Après d’âpres discussions, nous craquons pour deux d’entre elles, représentant une scène de la cour impériale et Krishna en compagnie de Rhada, sa favorite. Puis, nous prenons la direction du Sunset point, où le spectacle du soleil rouge tombant sur les palais immaculés flottants au milieu du lac est vraiment irréel. Au loin, dans la brume du couchant se dressent les formes harmonieuses des monts Aravallis. Dans le ciel rose s’ébattent une nuée de gracieux volatiles.

De retour à l’hôtel, nous décidons de dîner à la terrasse du Jagat Niwas Palace. Pour nous y rendre, nous empruntons un rickshaw, sorte de tricycle à moteur qui s’avère bien plus commode que notre voiture, dans les ruelles tortueuses de la ville. De la terrasse, la vue sur le Lake Palace, ce joyaux de marbre blanc posé au beau milieu du lac Pichola est splendide. Au menu, repas strictement végétarien : curry de légumes et pommes de terre aux choux. Laure s’accorde une petite glace à la vanille et je sirote un thé. A Udaïpur, nous remarquons un nombre élevé de femmes occidentales au look « Indianisé », certainement en quête d’un certain romantisme dans cette cité lacustre. Pour ma part, je trouve leur accoutrement assez ridicule et le sari me semble bien plus gracieusement porté par les autochtones. En fait, on trouve quatre grandes catégories de voyageurs en Inde. Il y a ceux qui ne supportent pas le spectacle qui leur ai présenté, ce que je peux tout à fait admettre. Il y a ceux pour qui le pays inspire un mélange de peur et de fascination, qui ne se sentent pas tout à fait bien mais qui restent étrangement fasciné par ce qu’ils voient. Puis il y a ceux qui sont habité d’une véritable passion pour l’Inde et que ces lieux obsèdent (dont je fais partie). Enfin il y a ceux qui essaient de jouer aux Indiens. Cette catégorie d’individu n’est jamais réellement acceptée par les locaux, tout au plus leur inspirera-t-elle sourires et mépris... En fait, il suffit d’être sois même pour attirer la sympathie.

Retour à l’hôtel après un périple épique, où le moteur du rickshaw a failli rendre l’âme à plusieurs reprises dans les quelques montées qu’il y avait à franchir. Laure, qui s’était assoupie alors que j’écrivais ces quelques lignes, s’agite soudain frénétiquement en poussant des cris : « J’ai une bête dans le dos ! J’ai une bête dans le dos !». Après vérification, un gros insecte poilu parcourait tranquillement sa colonne vertébrale. La nuit s’annonce difficile. A la télévision, j’attrape par hasard les cinq derniers tours du Grand Prix de F1 du Japon pour assister au sacre de l’écurie Ferrari après plus de vingt ans d’attente. J’ai raté l’événement mais pour une noble cause. J’éteins les lumières. Au loin, retentissent les chants des fidèles du temple Shivaïte qui jouxte l’hôtel. Je ne suis pas certain que les battements de tambour m’aident à trouver le sommeil ...

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