dimanche 8 octobre 2000

Fort Chanwa, Luni

"Chaque européen qui vient en Inde apprend à avoir de la patience s'il n'en n'a pas et la perd s'il en a"
Proverbe indien

Après un petit déjeuner dans une adorable salle d’apparat aux couleurs pastel, nous nous dirigeons de bon matin vers la massive façade de l’Umaid Bawan Palace, actuelle résidence du Maharaja de Jodhpur dont l’une des ailes a été transformée en hôtel de luxe. C’est pour employer la main d’œuvre locale déshéritée que la Maharaja fit construire ce palais au début du siècle, d’après les plans d’un architecte anglais. La visite du musée s’avère surtout intéressante pour l’architecture grandiose qui l’abrite. La hauteur de plafond dans le hall est impressionnante, même si le style années 40 n’est pas mon préféré.


Nous prenons maintenant la direction de Luni, qui n’est situé qu’à 40 km de Jodhpur. Luni est un petit village au cœur du pays Bishnoï. Les Bishnoïs sont une ethnie Rajasthani ayant une notion de l’environnement très développée. En effet, une communauté entière a été rayée de la carte pour s’être opposée à l’abattage de quelques arbres par les hommes du souverain de Jodhpur. Sur les conseils (intéressés ?) du chauffeur, nous nous arrêtons dans un centre d’artisanat spécialisé dans la confection de Dhury. Ce sont des tapis en coton tissés, que l’on retrouve partout au Rajasthan. Nous observons l’artisan en plein travail. Il me propose même de l’aider ce qui ne s’avère finalement pas si difficile. La confection d’un tapis de 2 m2 , peut nécessiter le travail de deux personnes pendant vingt jours. Ces tapis coûtent 2600 roupies, alors que je n’en propose que 2000. Après m’avoir montré un tapis confectionné par son arrière grand-père, il y a 90 ans, et après m’avoir garanti que les couleurs tiendront au moins 50 ans, nous arrivons à un compromis : 50 $ payable en chèque de voyage. En effet, cet artisan est affilié à une coopérative qui lui permettra de toucher son argent. Il me donne même son e-mail afin de m’envoyer les plans de ses créations par Internet. Mais, comment cet homme à l’apparence si modeste et cette famille qui semble vivre dans un grand dénuement peuvent-ils posséder un mail ? Son jeune fils nous conduit alors à l’atelier familial de confection textile, où une femme en sari rose imprime un motif sur une toile de coton. Ce motif sera recouvert de glaise, puis trempé dans un pigment naturel. La glaise sera alors grattée, ce qui redonnera aux motifs leur couleur originelle. Ingénieux processus ! Nous admirons également le travail d’un potier dont la dextérité et la maestria nous laisse pantois. On nous montre à grand renfort d’éclats de rire des lampes à l’huile magique que l’on retourne pour remplir d’essence, et qui ne se vident pas lorsqu’on les redresse.

Nous repartons avec un petit vase de terre cuite en forme de poisson, puis installons nos bases au Fort Chanwa à Luni. Cet endroit est indéniablement plein de charme. Au beau milieu de cette petite bourgade, perdu dans la campagne, se dresse un fort du 18ème siècle, couleur sable, dont les cours intérieures et les chambres sont arrangées avec un goût exquis. Il possède en plus une charmante piscine, où nous nous attardons deux bonnes heures. Alors que Laure part faire une petite sieste, j’en profite pour explorer les recoins cachés du fort et découvre qu’il est habité par une colonie de mainates, volatiles couleur émeraude, dont les jacassements incessants viennent troubler la quiétude du lieu.

Sur les coups de 17h, je décide de franchir les murailles pour sillonner les rues du village. Un vieux berger au turban blanc rentre ses vaches. Une femme sans âge, complètement courbée sur elle-même, avance péniblement à l’aide d’une canne. Mon passage la fige, puis elle reprend sa route, lentement. Les yeux des enfants s’écarquillent sur mon chemin. Certains sourient et me font signent de la main, quelques uns osent un « Hello ! » sonore. Bref, l’ambiance est plutôt sympathique, mais je n’ose m’aventurer trop profondément dans les petites ruelles défoncées, conscient des limites de mon sens de l’orientation. De retour au fort, j’écris quelques cartes postales, puis nous nous amusons à faire le tour des murailles, ce qui, à la nuit tombante, c’est à dire vers 18h30, nous permet d’observer les cours intérieures des maisons du village, où bavardent les familles à la lueur d’une chandelle. Nous arrivons les premiers au buffet, servi sur la pelouse anglaise. Au menu : Dal Makani, Kofta (boulettes de légume) et Ladie’s Fingers (légume hybride mélange d’haricots verts et de courgettes). Nous sommes couvés du regard par l’affable manager de l’hôtel, qui prend de nos nouvelles toutes les trois minutes. En guise de douceur, nous avons droit à une excellente crème de riz au safran. Laure, qui n’avait jusque là presque rien mangé, en redemande, mais il n’en reste plus. En compensation, nous héritons d’une ration de Halwa (semoule aux épices) à se relever la nuit. A table, nous nous lançons dans une discussion sur la religion hindoue, dont le panthéon ne semble pas complètement assimilé par Laure. Pour elle, Krishna est un éléphant bleu qui fricote avec les Goodies ( ? ! ?) et la femme de Shiva s’appelle Pasvernie ! « Putain, y a du boulot … » A côté de nous, une famille d’espagnols avalent discrètement une boîte de sardine. Dure la vie de touriste en Inde !

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